Dure semaine dans le secteur du commerce, où les mauvaises nouvelles et les désillusions se succèdent. En début de semaine, les négociations sectorielles entre syndicats et employeurs (notamment sur la question de l’harmonisation des commissions paritaires et du travail du dimanche) ont à nouveau capoté. Coméos, la fédération des employeurs du commerce, se moque ouvertement de la concertation sociale et bloque tout dialogue. Mercredi, le bruit selon lequel Carrefour réfléchissait à l’éventualité de se retirer du marché belge a provoqué un mini torrent médiatique et soulevé de vives craintes à la veille d’une négociation importante sur la possibilité d’ouvrir les magasins le dimanche. cette semaine également, on apprenait que Brico souhaitait franchiser 3 de ses magasins pour des raisons financières. Ajoutons à cela l’annonce récente de la faillite de Leenbakker et le processus de mise en œuvre de la fermeture de Cora qui suit son cours... Les constats sont lourds et inquiétants pour le secteur tout entier et pourtant, cette situation n’est pas nouvelle.
Ces dernières années, tant de magasins ont fermé leurs portes dans un silence assourdissant. Le scenario se répète, les pertes d’emplois se banalisent. De notre côté, nous avons tiré la sonnette d’alarme à de nombreuses reprises sur la nécessité pour le secteur de se réinventer et d’évoluer, mais à travers un encadrement des conditions de travail, d’avancer ensemble pour la pérennité du secteur mais aussi de l’emploi.
Face à nous, les responsables au niveau des commissions paritaires sur le banc patronal regardent leurs chaussures et refusent de parler des vrais sujets. Nous l’avons encore constaté lors de la dernière réunion de négociation avec Coméos : dialogue au point mort, aucune volonté d’avancer, pas de respect pour le discours des représentants des travailleurs. Pourtant, des défis aussi importants que ceux du commerce transfrontalier, de l’e-commerce ou encore de l’arrivée sauvage et toujours importante de nouvelles enseignes sur le territoire belge doivent être abordés. Consommer, consommer, consommer… Comme si le gâteau de la consommation pouvait être reproductible à l’infini. Dans un pays et à une époque où le gouvernement Arizona n’a de cesse que de diminuer le pouvoir d’achat de la population, qui peut raisonnablement penser que nous consommerons toujours plus demain ? Qui peut raisonnablement penser que les drames dans le secteur commerce ne vont pas continuer non pas parce que les travailleurs déméritent ou coûtent trop chers, mais simplement parce que l’évolution du secteur, l’atténuation des frontières et le comportement des consommateurs changent.
Il est une chose certaine : pour qu’un magasin fonctionne, il faut qu’il y ait un minimum de travailleurs sur la surface de vente. Il s’agit là de coûts incompressibles. On dit que les organisations syndicales auraient soi-disant des revendications trop importantes, qu’elles bloqueraient certaines demandes, notamment en matière d’élargissement des heures d’ouverture. C’est faux. Comme SETCa, jamais nous n’avons refusé de négocier de la flexibilité ou de la polyvalence. Nous avons toujours signé toutes les conventions collectives. Nous n’avons jamais mis aucun pistolet sur la tempe de quelque patron que ce soit. Nous avons toujours choisi la voie de la négociation et n’avons jamais refusé de discuter d’évolutions, au contraire. Nous avons cependant affirmé qu’il fallait en discuter autour d’un encadrement.
Restaurer la rentabilité des magasins, c’est d’abord une affaire de consommateurs et de choix de consommation. Faire ses courses en Belgique. Faire ses courses dans un magasin et garder ainsi l’argent sur notre territoire est fondamental si l’on veut maintenir l’emploi dans le commerce. Se préoccuper de faire jouer tout le monde avec des règles de concurrence loyale tant pour l’e-commerce que pour le commerce physique est fondamental. Porter des messages communs au gouvernement quand il s’agit de commerce transfrontalier, de taxation ou encore de réglementation sur les implantations commerciales est notre devoir en tant qu’interlocuteurs sociaux.
Harmoniser les commissions paritaires, les faire évoluer, trouver un juste milieu pour que chacun puisse vivre et que l’emploi de qualité soit encore la norme dans le commerce est fondamental.
Depuis le dossier Delhaize, le modèle de franchise a pris un coup d’accélérateur et fait pression sur l’ensemble des acteurs du secteur. En face de nous, le cœur du banc patronal oscille entre franchises et magasins intégrés mais pousse dans la voie du ‘toujours plus de flexibilité’. A ce petit jeu, il bénéficie d’un large soutien du gouvernement qui dérégule encore et encore. Pourtant 50% des commerce franchisés rament eux aussi…
Cette semaine, la communication sur le possible départ de Carrefour de notre pays était stratégiquement très bien étudiée pour tomber pile au bon moment, juste avant de négocier sur un élargissement des ouvertures le dimanche. Maladroit et écœurant ! Elle ne visait qu’à remettre de l’huile sur le feu et faire trembler les travailleurs pour qu’ils acceptent plus facilement une convention avec des magasins ouverts 7 jours sur 7. Rappelons que nos parents et nos grands-parents se sont battus pour que le dimanche soit un jour de repos. Le travail du dimanche n’était autorisé que pour des travaux bien spécifiques qui ne pouvaient souffrir d’être interrompus. Est-ce une nécessité de faire ses courses le dimanche ? Poser la question, c’est y répondre… Les employeurs (ou plutôt les actionnaires qui sont derrière) répondent plus aux désirs des consommateurs qu’à un besoin. Ces décisions stratégiques ont un impact sur l’emploi et sur les conditions de travail. Et ces mêmes décisions ne sont même pas prises en Belgique (hormis pour Colruyt dont la direction reste basée chez nous). Elles sont dans les mains de l’actionnariat des grands groupes qui se trouvent à l’étranger. Ce ne sont plus des commerçants qui sont aux manettes mais des business man.
Comme nous l’avons dit plus haut, nous avons toujours été ouverts au dialogue et à trouver des solutions, à condition qu’elles soient équilibrées. C’est dans cette même logique, que nous venons de négocier chez Carrefour et sommes parvenus à un accord. Nous concédons l’ouverture du dimanche tant recherchée par la direction, de manière strictement encadrée. A côté de cela, nous avons pu obtenir de la direction qu’elle garantisse l’emploi et l’absence de passage en franchise jusqu’en 2028. Cet accord ne suffira pas à lui seul à trouver des solutions d’avenir. C’est une politique commerciale digne de ce nom qui doit se développer pour assurer l’avenir des magasins et par là même pour les jobs des travailleurs.
Dans cette ère de l’Arizona où l’on fait la chasse aux chômeurs tous les jours, nous nous demandons en effet quel est encore l’avenir des travailleurs dans le commerce. Souvent, il s’agit de gens qui n’ont pas beaucoup de qualifications et qui sont restés toute leur carrière au sein d’une même enseigne. Des personnes qui jusqu’à présent, ont toujours pu avoir la fierté d’avoir un travail qui leur permettait de vivre, qui leur permettait de faire carrière et de bâtir ainsi une vie décente. Chez Cora par exemple, ces travailleurs d’expérience sont aujourd’hui laissés sur le bord de la route du marché de l’emploi et risquent de devenir demain les prochains parias de la société. Certains chiffres sont parlants : Delhaize installe des magasins sur une partie des surfaces laissées par Cora. Ce Delhaize va occuper 40 personnes. Mais dans les 40, il ne reprendra que 4 travailleurs du passé. On veut des plus jeunes, moins chers, plus malléables…
Les travailleurs du commerce ne méritent pas l’indifférence que leur réserve le banc patronal. Ils méritent le respect. Il est nécessaire d’avoir un sursaut patronal mais aussi un sursaut des consommateurs pour ne pas laisser décrépiter un secteur qui compte autant de travailleurs.
